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28 et demi (work in progress)

28 et demi (work in progress)
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4 novembre 2011

Mini-introduction permanente

Si vous souhaitez savoir le pourquoi et le comment de ce blog (et notamment pourquoi le blog s'intitule ainsi), voir ce message. Sinon, vous pouvez passer directement à la suite, c'est peut-être plus intéressant (ou pas...)

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4 novembre 2011

Mirage géohistorique (ou pas)

Le texte que vous allez lire est presque aussi long (ou court…) que l’explication de sa genèse. Ce soir, alors que je rentrais en train d’une journée de travail, le cœur à la fois léger et désœuvré, il me prit une envie soudaine d’écrire. Je ne manquais pas de feuilles dans mon sac, mais je jetais mon dévolu, presque sans réfléchir, sur un reçu de carte bancaire qui trainait au fond de ma poche depuis mon repas de midi. Vint instinctivement un défi : écrire une mini-histoire sur ce modeste bout de papier (10,2 cm x 7,8 cm, recto-verso) et utiliser les quelques mots qui y étaient inscrits (ou du moins de la même famille étymologique) ainsi que quelques-uns des nombreux chiffres. Je relevai ce défi en quelques dizaines de minutes. Avant de plonger dans cette courte histoire, voici d’abord la liste des mots du reçu en question : Carte, bancaire, Ed, Roussillon, ticket, client, conserver, 4.18 Euros. Dernier détail : à trois mots prêts, les deux paragraphes correspondent au recto et au verso du ticket (le recto comportant des inscriptions, il offrait moins de place...).


Ed observa la carte qu’il tenait entre les mains. Devant lui, planté (ancré) au sol, un panneau affirmait l’existence d’une ville nommée Roussillon. Le nom lui-même l’avait doublement étonné. D’abord parce qu’il était né dans une ville homonyme. Ensuite parce qu’un tel nom lui paraissait hautement improbable dans le pays qu’il visitait. Ce pays au désert omniprésent et aux toponymes aussi exotiques qu’imprononçables. Pire : sa carte lui confirmait qu’il était victime d’hallucinations : aucun nom ne correspondait aux points cardinaux qu’il était sensé occuper. Il avait même épluché toute la carte en cas d’erreur de géolocalisation… Mais rien. Que des noms exotiques. Il conservait toutefois le faible espoir de ne pas être devenu fou. Craintif et éberlué, il entra dans la cité, dont l’aspect extérieur n’était aucunement en contradiction avec le pays qu’il avait parcouru depuis quelques années.

Les premières rues étaient aussi désertes que l’étendue rocailleuse qu’il avait traversée pendant trois (longs) jours sous le soleil. Puis au détour d’une maison, Ed fut confronté au souffle inattendu d’une foule animée. Une rue commerçante traditionnelle. Le genre de lieu qui lui était désormais familier. Le vacarme multilingue fusait de toutes parts. Ed voulut alors entrer dans la première échoppe à sa portée. A l’intérieur (frais et plus calme), il tomba nez à nez avec un distributeur de tickets – du genre de ceux qu’on trouve dans les boucheries de supermarché. Ed prit un ticket, machinalement, puis en lut le numéro : 2611124. Ce n’est qu’à cet instant qu’Ed leva la tête et découvrit le brouhaha silencieux des clients en attente. Puis un panneau indiquant : 0421010. (Ed manque de peu la chute sous l’effet de la surprise). Le vertige du temps prenait forme sous ses yeux. Les femmes assises par terre, les files d’êtres hagards, des banquettes (rares) investies par quelques dormeurs bienheureux (dont on pouvait douter qu’ils étaient encore en vie). Et cette immense horloge affichant l’heure (12 :15 :15) et la date (04/11/11) en chiffres verts et luminescents. Le visage figé d’Ed pivotait lentement sur l’axe de son cou jusqu’à un autre affichage : la monnaie locale valait 4.18 Euros ce jour-là. Ed prit alors conscience du lieu dans lequel il se trouvait, mais aussi de l’histoire immédiate dont il ignorait tout depuis quelques années. Devant lui, au-dessus du comptoir, brillait l’inscription : Banque coloniale.

24 juin 2010

Même pas repu !

Nouvelle écrite dans le cadre du concours du CROUS 2010 sur le thème "Peur". Nouvelle primée régionalement (troisième prix du CROUS Lyon-St-Etienne).

Pour la lecture, allez directement sur le site du CROUS Lyon-St-Etienne.

15 décembre 2009

Noktranger

Pfiioo voogloogloo

Pschitt vifuitt

Tikatikatak biflak

Rompschii virorev

Sinkooss bavacrev

Fliflon panssflootar

Filafoo pakochmar

Tikatikatak dodussak

Tchitchoo trinfou

Kokat'koin vololoin

Katapliss antiglob'

Glissossi lon'don'fog

Kood'pinss odedan

Flotaliz' afroven

Guilibli issoubli

Tikatikatak ordulak

Dig'dring fin-swing

30 novembre 2009

Râter le train d'une lecture tranquille

Entendre cette foule, le long des allées. S'en aller vers le flou quand se tendre est inévitable. Fermer son livre, pages réunies, quand la foule silencieuse se résume à quelques voix.

Ne plus entendre mais écouter. Ecouter. Mais s'en foutre.
Ecouter contraints, contre la vitre, dents trop serrées, rester le regard traitre, à travers les reflets. Voir ceux qui importunent.

Ne plus voir mais regarder. Regarder. Mais s'enfuir.
Fuir la confrontation directe par ces miroirs au décor mouvant. Ne plus faire qu'écouter l'inintéressant et regarder ces fantômes d'inconnus qui nuisent.

Fulminer contre ces morceaux de foule qu'on voudrait lointains. Ne plus pouvoir échapper aux Charles, Rachel ou Sacha dont s'épanchent les fortunes. Retrouver des amis que l'on n'a jamais eus. Savoir comment ils vivent alors que vit en soi l'envie de sauver le héros de son livre.

Finir par reconstituer les histoires de ces fantômes. S'en faire un livre provisoire et non écrit dans un élan qui ne durera pas au-delà d'un trajet. Reporter le destin du héros pour plus tard. Devoir partir du train quand on est en train de voir partir ces spectres qu'on commençait à chérir...

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21 novembre 2009

Propositions de néologismes

Parfois la langue manque de mots. Je répertorierai ici certains néologismes de mon cru. La liste s'allongera (peut-être) au fil du temps (si j'y pense).


* Mythopathie : sympathie feinte, de la part d'une personne qui est en fait une véritable ordure...

* Hôté : personne accueillie... pour en finir avec le casse-tête du double sens du mot "hôte" !

 

 

 

29 mars 2009

Future Form of Intelligence [Scratches #2]

[Pour la deuxième fois, je m'inspire de mon ami Salaryman pour écrire une nouvelle de manière instinctive en me laissant guider par ce que m'inspire la musique. La première fois, c'était un mix d'une demi-heure de Salaryman à la radio, en 2006. Cette fois, c'est en écoutant son premier album, "Future Form Of Intelligence", dont j'ai évidemment repris le titre pour la nouvelle.]


J’ai gratté toutes les nuits pendant dix ans. Derrière moi, au fond du tunnel, le souffle m’apparaît de plus en plus pressant, de plus en plus glauque. Au fur et à mesure que s’éloigne ce que je fuis, il en ressort une pression paradoxalement plus forte, comme si le danger grandit quand j’essaie de le rejeter au plus loin de moi.

Mais enfin voilà la lumière. Un petit trou dans la terre. Puis mes mains qui élargissent la voie. Il ne faut que quelques minutes pour que je courre sur la pente du Mont Avenir. Quelques minutes encore pour que je me faufile entre les immeubles, en prenant bien soin d’éviter les routes principales.

Me voilà à proximité de la Gare de la Liberté. L’ironie de son nom est d’autant plus forte aujourd’hui qu’elle va peut-être me permettre de quitter cette planète au peuple fantoche. Je cours depuis déjà une bonne vingtaine de minutes mais je ne sens pas encore d’essoufflement. J’ai pourtant besoin de reprendre mes esprits. Trop d’ivresse pourrait me perdre. Arrête-toi. Tu dois calmer tes ardeurs même si elles sont légitimes après toutes ces années d’attente.

J’expire toute cette crasse et cette impatience qui m’ont accompagnées. Je reprends mon clame et inhale doucement l’air pollué – qui me semble toujours plus pur que l’air moite et insalubre de mes dernières années. Je suis adossé à une benne, je sens la froideur du métal sur mon échine.

« Gkrr… »

Un bruit de l’autre côté. Un son inconnu et qui me fait étonnamment frissonner d’espoir. Je passe  prudemment les yeux  au-delà du coin du grand container métallique. Sur le sol, un petit être à la peau blanche reprend sa respiration comme j’étais en train de le faire de mon côté de la benne. Il a sur son visage l’expression que j’arbore aussi – j’imagine – avec ce mélange de soulagement et de peur, de doute et d’espérance. Je n’ai jamais rencontré ce genre de créature auparavant mais c’est la première fois que je me sens si semblable d’une forme non-humaine.

L’être sursaute lorsqu’il prend conscience de ma présence mais, à la seconde même où il se remet instinctivement debout, son visage prend une tournure sereine et il me fixe en silence. En silence ? Il ne parle pas mais j’entends des voix qui résonnent dans mes synapses.

Je ne sais combien de minutes s’écoulent – peut-être dix, peut-être aucune – mais mon cerveau semble se déconnecter de mon corps puis, au moment de la reconnexion, je sais tout de l’être blanc (Yxanagure Ventaral de son vrai nom, Yxy pour les intimes) et il en sait encore plus sur moi. Yxy, mon pote… L’ami d’une enfance virtuelle qui s’imbrique dans mon véritable passé.

Notre complicité est suffisante pour que l’on n’ait pas besoin de se parler pour se comprendre. Yxy me fixe, droit dans les yeux mais je sens qu’il englobe toute mon âme avec ce regard. Il a raison évidemment… Nous ne pourrons pas sortir d’ici vivants si nous ne combinons pas nos esprits. Yxy possède une sagesse et une perspicacité qui m’ont toujours étonné… même après tout ce passé virtuel et les forts liens qui nous ont unis. Il a compris que nos deux passés étaient assez complémentaires pour qu’ils ne fassent qu’un au sein de deux êtres. Que nous devions unir nos âmes. Je m’appelle Yxy aussi. Et il s’appelle Oko comme moi, évidemment.

Non loin, un groupe de jeunes femmes marche en riant – de quoi peuvent-elles bien rire dans ce monde-là ? Oko et Yxy se prennent la main en silence et s’avancent derrière elles. Ils inscrivent leur présence comme une évidence. Les jeunes femmes continuent de rire et parler comme avant, intégrant Oko-Yxy dans leur conversation. Léantine est amoureuse d’eux, ça se voit à sa manière de les épier du coin de l’œil à chaque fois qu’ils ont le dos tourné.

Comment avaient-ils fait pour passer tant d’années sans se voir ? Ils étaient là, sur le quai numéro J4, en partance pour Oountouqur. Adolescents, ils avaient vécu de beaux étés sur cette planète, puis leurs chemins s’étaient séparés, sans savoir comment. Mais leur groupe était toujours aussi soudé et convivial. Le temps n’avait rien changé à leur entente éternelle. Quel était d’ailleurs ce temps qu’ils ne connaissaient pas ? Ils ne savaient plus s’ils s’étaient connus dans le passé ou dans le futur, si leur vie était réelle ou non… Ce qui importait le plus, cétait que Talykya était là, que Movgalie aussi. Et Hounk, qui avait rejoint le groupe en retard. Avec Léantine et Oko-Yxy, ils ne faisaient plus désormais qu’un amalgame de vie, qu’une boule d’espoir, qu’un empire du possible.

« Oountouqur, embarquement imminent »

Bientôt, ils étaient vingt puis trentre à rire ensemble sur le quai J4. Oko-Yxy étaient au beau milieu du groupe, d’où ils rayonnaient dans tous les sens du terme. La Gare de la Liberté absorbait aussi ces ondes lumineuses et n’avait déjà plus l’apparence qu’elle avait prise pendant la décennie de pouvoir du parti No Wild. Il y a dix ans déjà… Comment en était-on venu jusqu’à accepter ce régime ? Comment avait-on pu, toutes et tous, se résigner à vivre dans le monde nowildiste ? Ingko Bilabil avait certes un immense charisme et une intelligence impressionnante mais qu’il ait pu hypnotiser toute une planète en l’espace de quelques mois dépassait l’entendement.

Aujourd’hui pourtant, les êtres se réveillaient. Ils n’avaient pas cessé, au fond, de haïr ce qu’ils avaient admis sans le vouloir. Malgré les apparences, ils n’avaient pas abandonné leur capacité d’analyse et leur profond altruisme. Ils n’avaient pas cadenassé définitivement leurs pulsions. S’ils avaient été dociles pendant dix ans, ils pouvaient tout aussi bien faire éclater la bulle sombre qui les avait étouffés.

Sur le quai J4 ce jour-là, un élan prenait forme. Une étincelle qui incendierait la forêt de béton. Finalement Oko-Yxy ne partirait pas pour Oountouqur. Ni Léantine. Ni Talykya. Ni Movgalie. Ni Hounk. Et encore moins les autres – qui n’étaient d’ailleurs plus tellement des autres désormais car ils ne formaient plus qu’une force inexorable de délivrance.

Quand le vaisseau pour Oontouqur s’amarra au quai J4, le mouvement s’amplifia. Du vaisseau, surgissaient des Oontouquriens, des Tukalériens, des Houchmois, des Zoulweks, des Oscvilais… Dix ans qu’ils n’avaient pas mis pied sur Terre. Dix ans qu’ils attendaient que les leurs se réveillent ici aussi pour revenir d’exil. Dix ans qui allaient prendre fin en quelques heures – douce impression d’intemporalité.

Le visage Ingko Bilabil se ternissait fatalement sur les écrans. La lumière envahissait désormais toute la gare et débordait par les entrées. Le nowildisme s’évanouissait encore plus rapidement qu’il était apparu.

Oko-Yxy-Léantine étaient à l’avant d’une foule qui ne connaissait pas de fin. Une foule sans horizon – ou plutôt aux horizons confondus. Une masse antinowildiste – pas wildiste car il était grand temps d’en finir avec ces politiques d’œillères qui évacuent ceux qui ne leur ressemblent pas. Un bloc hétéroclite mais jumelé dans le même élan lumineux.

Le tunnel n’est qu’un lointain souvenir. Je suis léger. Si bien avec Yxy et Léantine à mes côtés. Je ne sais pas si tout va tourner bien rond demain mais aujourd’hui les coins et les recoins ne sont plus des obstacles. Yxy et Léantine sont si beaux, si rayonnants. Talykya aussi. Et Movgalie. Et Hounk. Et tous ces Oontouquriens, ces Tukalériens, ces Houchmois, ces Zoulweks, ces Oscvilais… Il n’y a qu’Ingko Bilabil qui implose dans la noirceur qui le ronge. La même noirceur qui a rongé nos dix ans. Mais que sont ces dix ans à côté du nouveau passé que j’ai gagné grâce à Yxy ? Et cet avenir rayonnant avec lui et Léantine…

25 août 2008

Pourquoi 28 et demi ?

[Ce texte est une explication du pourquoi et du comment de ce blog...]


Ce 28 et demi vient de loin. Même si c'est finalement très idiot. Vers la fin du collège, je m'étais aperçu que le nombre 28,5 revenait instinctivement lorsqu'on me demandait un nombre pour tel ou tel sujet. Une boutade la plupart du temps, un peu comme le nombre de sucres d'Odile Deray* dans La Cité de la Peur. Toujours est-il que je finissais toujours par dire "28 et demi" et j'ai un jour réalisé cette étrange occurrence. Ne croyant pas au destin mais plutôt au hasard, je me suis pourtant persuadé petit à petit qu'il m'arriverait sûrement quelque chose d'important dans ma vie au moment d'avoir 28 ans et demi! La réalisation d'un rêve? Un premier enfant? En tout cas, je n'ai jamais pensé à un évènement négatif. Et j'ai vécu plus de 10 ans avec l'obsession de cet étrange nombre et de la superstition que je m'étais construite avec!

Évidemment, mon côté cartésien me fait dire aujourd'hui que c'est justement parce que je m'étais mis cette idée dans la tête qu'elle a fini par se réaliser. Ou, du moins, que c'est à travers cette anecdote que j'interprète ce qui m'arrive à l'orée de mes 28 ans et demi. Et cet évènement, c'est le début d'une aventure à deux en Ouzbékistan. Comme je me suis mis à créer un blog pour l'occasion, je me suis dit qu'il était peut-être temps aussi que j'en crée un autre plus personnel et plus pagaille. Un blog en vrac où je pourrais me laisser aller à un peu d'écriture ou de créations diverses. Et commencer par publier ce que j'ai déjà produit par le passé, en terme de nouvelles, de poèmes ou de créations graphiques**.

Je vais donc laisser le vent agir sur ce 28 et demi qui mûrit. Le hasard plutôt que le destin. Mais un hasard que je construis à ma façon...


* Odile en demande 16 mais Mme Jacques n'en met que 15 comme le précise le générique de fin (Comment ça? Vous n'avez jamais lu le générique de fin? Il vous manque donc encore des gags à découvrir dans ce film!)

** Les dates concernent donc généralement les dates de créations, parfois antérieures à la création de ce blog


 

20 mars 2008

Vertigo

[nouvelle écrite pour le concours du CROUS 2008 sur le thème "Rouge"]


La journée s’annonce palpitante ! Un de ces moments de l’automne naissant qui nous laissent encore profiter des rayons chaleureux de notre astre tout en distillant les premières touches de la palette verte-jaune-rouge dont la nature se parera au fil de la saison. J’ai rendez-vous avec Milly, Chloé et Angelo, pour un pique-nique au PETA, le Parc d’Etat Thousco Arkyszo, que tout le monde préfère surnommer le Parc des Eternelles Tractations Amoureuses. Evidemment je suis incorrigible et j’arrive bon dernier à notre point de ralliement – un arbre immense et tortueux dont on a fait le symbole de nos vies entrelacées. La couverture kitsch de Chloé est déjà étendue sur l’herbe et parsemée de sacs, récipients et accessoires.

« J’espère que tu aimeras le dessert, ma p’tite limace, parce que c’est tout ce qui reste ! » Ca c’est Milly. Toujours la plus prompte à dire ce qu’elle pense. Avec ce zeste de sarcasme qui, comme vous le voyez, ne la quitte guère. Aucun homme n’a pu supporter son caractère plus d’un an malgré les charmes que la nature a offert à cette langue bien pendue ! Seuls Angelo et moi sommes fidèles à notre amie depuis deux décennies.

« Dans mes bras, ma limace », s’empresse-t-elle de me lancer, comme une délicate précaution pour soigner en urgence une éventuelle susceptibilité de ma part. Il faut dire qu’elle nous avait manqué notre Milly après son année passée outre-mer pour une expédition scientifico-humanitaire. Voilà ainsi reformée la quadrature de notre cercle. C’est donc avec un mélange de sourires et d’yeux humidifiés par l’émotion que commence notre repas. Milly nous a concocté une salade dont elle a le talent, avec des touches inédites d’épices qu’elle a rapportées de son expérience au bout du monde. Angelo a sélectionné une nouvelle fois un vin blanc que personne n’a jamais goûté et préparé des galettes de céréales à la tomate. Chloé a quant à elle joué la carte de la nostalgie, avec ses fameux gâteaux chocolat-soja que sa grand-mère nous préparait quand on était en vacances chez elle – ce côté "madeleines de Proust" ne m’étonne pas de sa part. Ma contribution est à la fois plus modeste et plus variée : une botte de radis, des fruits secs, une tablette de chocolat au quinoa et un thermos de thé.

Aussi délicieux soit-il, le pique-nique passe presque inaperçu tant l’univers entier semble exercer une force centripète sur la personne de Milly, dont les récits rassasient notre curiosité. La tendance se calme toutefois au moment du dessert : l’"effet madeleine" est bel et bien efficace car la discussion dévie inévitablement vers nos souvenirs d’enfance. Et voilà que ressurgissent les anecdotes, que valsent les taquineries, que fusent les rires, que frissonnent nos épidermes. Je propose alors une partie de Scrabble, que j’ai pris soin d’emmener. Nous adorions y jouer quand nous étions ados, quitte à passer pour des ringards aux yeux des autres – mais peu nous importaient les autres.

Seul Angelo décline l’offre : « Ne vous inquiétez pas, jouez sans moi, je resterai allongé à vos côtés. Je lirai mon journal d’un œil et je vous surveillerai de l’autre pour éviter les tricheries. » Je le fusille gentiment du regard car je sais que sa remarque m’est destinée – une vieille allusion à mon côté mauvais perdant. De toute façon, c’est mon jour de chance car après cinq coups chacun, j’ai déjà casé deux Scrabble et placé "kiwi" sur un "mot compte triple". Rien ne semble pouvoir m’empêcher de battre mon record ! A moins que la terre ne tremble…

« Encore ! - Qu’y a-t-il Angelo ? » Il nous tend le journal.

« UN RENARD INCARCERE
Hier, dans la banlieue de Greenwich, une habitante a découvert dans son jardin un lièvre au cou et à l’échine lacérés. Les divers indices ont conduit la Milice Verte à capturer un renard sur lequel des traces de sang ont été retrouvées. Des analyses sont en cours pour confirmer qu’il s’agit bien de l’ADN du lièvre assassiné. En vertu de la loi XV8-66 sur le végétarisme, le renard a été incarcéré de manière préventive et pourra être sevré et confiné si les soupçons se confirment. »

« Voilà qui va relancer le débat sur la possibilité d’étendre le végétarisme aux races non humaines. »

Cette intervention de Chloé nous surprend. Mais pas à cause de son caractère plutôt réservé. D’ailleurs nous nous sommes toujours tout dit entre amis. Nous parlons librement de politique, malgré nos différends. Les questions religieuses ne nous ont jamais dérangées, tant nous revendiquons un même anticléricalisme. Nous avons toujours eu aussi une extrême liberté dans nos conversations sur la sexualité et sur nos fantasmes – il faut dire que les relations au sein de notre quatuor n’ont pas toujours été uniquement amicales ! Il me semblait donc que nous n’avions aucun tabou. Mais à cet instant, je me rends compte qu’il existait un sujet sur lequel nous nous étions toujours tus : la loi XV8-66.

Nous n’avions que cinq ou six ans quand elle avait été adoptée sous le gouvernement de Thousco Arkyszo. XV8-66 s’était progressivement coulée dans notre société et je me rends compte désormais que son existence provoque en moi un certain malaise, que je ne parviens pas encore à analyser. Je regarde autour de moi, dans un soudain élan de paranoïa instinctive – personne n’est assez proche pour nous entendre.

« J’ai déjà… » Milly tente de nous avouer quelque chose mais les mots se coincent. Trois mots tremblants, une phrase avortée, suffisent à nous plonger dans un silence pesant. Six yeux intrigués sont tournés vers Milly, qui hésite à poursuivre. « Vous savez… » Mais cette fois ce sont des sons de crissement et de collision qui l’interrompent. Les bruits provenaient de la rue voisine. Angelo se dirige vers la haie du parc et nous le suivons. Une chèvre gît sur le macadam et un homme encore sous le choc sort de son véhicule en titubant. Ce genre d’incident est devenu courant depuis XV8-66, dont l’article 7 a instauré l’obligation de laisser tout animal circuler librement. Les villes sont depuis lors confrontées à des problèmes de surpopulation animale qu’aucune mesure politique n’a su gérer. Des animaux renversés, des invasions de rats ou de blattes, de nombreux ennuis sanitaires…

De retour sous notre arbre, Milly tente de reprendre son mystérieux aveu : « Vous savez… je… » Elle doute encore. « Il existe des régions reculées du monde, des populations marginalisées, qui n’ont guère été contraintes à appliquer XV8-66. » Elle marque une pause et nous attendons la suite. Elle observe nos réactions et cela paraît l’encourager. L’immense gêne dont elle avait fait preuve semble s’estomper. Elle sait qu’elle peut tout nous dire.

« J’ai mangé de la viande en Amazonie, chuchote-t-elle alors. J’ai retrouvé des sensations qui étaient enfouies en moi. Des lointains souvenirs d’enfance. Aussi bouleversants qu’avec ton gâteau, Chloé ! » Angelo enchaîne instantanément : « Alors c’est à mon tour de vous avouer quelque chose. Les galettes que vous avez mangées tout à l’heure contenaient de fines lamelles de jambon. »

Après s’être excusé d’avoir fait cela à notre insu, il se justifie en invoquant un acte militant face aux dérives de XV8-66 et il nous explique qu’il fréquente depuis quelques temps un réseau clandestin qui organise un véritable marché noir, resté jusque là invisible aux yeux des autorités. Chloé devient toute pâle. Ces révélations lui donnent-elles la nausée ? Non. Elle nous désigne fébrilement trois hommes de la Milice Verte qui viennent de pénétrer sur la pelouse et se dirigent lentement vers nous. Angelo, étonnamment calme, commente : « Ils sont sûrement à la recherche de témoins à propos de l’accident. »

Ils sont désormais à notre hauteur et l’officier supérieur déclare d’une voix rauque et déterminée : « Contrôle de pureté ». Depuis une douzaine d’années, ces contrôles sont pourtant devenus de plus en plus rares car les autorités ont officiellement déclaré la victoire du végétarisme humain. Je pensais qu’ils étaient désormais réservés aux autres espèces animales, comme ce renard dont parlait le journal. Les deux miliciens subalternes enclenchent leurs détecteurs et je sais avec angoisse que le résultat sera positif. Les lasers sont pointés sur nous, une lumière rouge ne tarde pas à s’allumer sur leurs boîtiers et un lugubre signal sonore s’en échappe.

Chloé est la première à pleurer. Elle panique et tente soudain de s’enfuir. L’officier dégaine son pistolet immobilisateur, vise et tire. Chloé s’arrête net, dans un horrible spasme, et s’écroule. Son front percute violemment une racine sinueuse de notre arbre, dans bruit sourd. Nous n’avons pas le temps d’être terrifiés que les miliciens nous ont déjà mis à terre, les mains derrière le dos, déjà endolories par des menottes trop serrées.

Je sens la terre froide contre ma joue et, malgré l’herbe et les larmes qui me brouillent le regard, j’aperçois le corps inanimé de Chloé et la racine qui rougit autour de son visage.

Elle n’est plus qu’un bloc de chair sans vie.

Et cette viande-là n’est même pas protégée.

12 mars 2006

Non-lieu

[nouvelle écrite pour le concours du CROUS 2006 sur le thème "Prisons"]


Je me souviens. Je suis libre et je me souviens...

L'outback. Ce trou du cul du monde dans lequel il a passé toute son enfance. Toujours convaincu que cet isolement l'avait rongé et doté de barreaux intimes – ceux de l'agoraphobie ? Paradoxe de ces espaces de liberté illusoire, enjamber les barbelés de la ferme de son père ne lui suffisait pas à s'enfuir. Plusieurs fois il avait tenté de fuguer, à la recherche d'autres mondes, mais les infinis paysages sur sa route avaient constamment eu raison de sa détermination. Il rentrait toujours avant même qu'on ne se soit aperçu de sa disparition avortée. Et retournait sous son lit où il pouvait rester prostré pendant des heures, rêvant à des espaces plus restreints et moins plats.

Pourquoi Dieu l'avait-il propulsé en plein milieu de l'Australie ? Quelle malchance… D'ailleurs il ne croyait pas en Dieu – il le faisait croire à ses parents pour ne pas les vexer. Il lui était impensable que Dieu soit assez cruel ou idiot pour s'être trompé à ce point ! N'aurait-il pas pris conscience qu'il n'existait aucune concordance entre son lieu de naissance et son âme profonde ? Non, Dieu ne pouvait exister… Pourtant il ne pouvait s'empêcher de l'implorer de temps en temps.

Si tu existes, peux-tu faire quelque chose pour corriger cette  erreur ?

L'espace réel lui faisait peur mais l'espace de son imagination était sans limites. L'échappatoire était dans sa tête. Il s'inventait des lieux clos dans lesquels il aurait aimé s'évader. Des labyrinthes, des grottes, des châteaux, des abîmes, des fusées… Il avait même affiché au-dessus de son lit une reproduction des Carceri de Piranèse, dont l’aspect glauque inquiétait sa mère. Il était fasciné par les horizons réduits. Pour lui, cela n'impliquait pas un manque de liberté. Au contraire puisque les obstacles imposés au regard obligent à chercher. C'était là le fond du problème dans l'endroit où il vivait: il n'y avait rien à trouver puisque tout était déjà offert dans cette profondeur quasi illimitée des étendues ! Comme une impression de vide étourdissant. Il ne parvenait pas à entrevoir une stimulante découverte. Aucune possibilité d'être surpris. Aucun défi.

Il existait un seul secteur qui le fascinait un tant soit peu dans les alentours: une petite cuvette naturelle, pourvue d'un peu plus de végétation, perdue dans l'immensité de l'espace, à quelques centaines de mètres de la ferme. Il aimait s'y réfugier régulièrement. Comme si cette dépression géographique dialoguait avec sa propre dépression chronique que générait la platitude morne et désespérément désertique de la région. Il ne voyait plus l'horizon lorsqu'il se trouvait en contrebas, lui laissant le loisir de l'imaginer et de le remodeler à sa façon.

Au loin, les montagnes s'avancent, escortées de leurs fidèles sapins...

Il adorait vaquer à d'imaginaires occupations, slalomer entre les quelques buissons et arbustes qui peuplaient son seul lieu d'épanouissement, converser avec les fées et elfes qu'il savait dormir au fond de chaque animal qu'il croisait… Sa solitude s'évaporait provisoirement à chaque fois qu'il oubliait les grands espaces qui l'entouraient. Mais lorsqu'il ressortait de ce refuge concave – il fallait bien retourner à la ferme pour le dîner ! – il ne pouvait s'empêcher de ressentir un pincement au cœur. Les retrouvailles brutales avec sa réalité de fils du bush l'emplissaient de frissons désagréables. Parfois il tentait d'exorciser ce mal en criant face à l'horizon, s'alliant avec le vent pour se donner un peu plus d'assurance.

    Il n'y avait qu'un moyen pour lui d'apprécier l'espace: la nuit. L'obscurité gommait la vision, son côté insondable le fascinait et il pouvait projeter sur cet écran noir tous les univers imaginaires possibles. Il n'avait jamais compris pourquoi les autres enfants avaient peur du noir ! Son autre asile était évidemment la ferme. La grange lui servait de donjon ou de vaisseau spatial. L'étable était sa ville ou sa garnison de vaches-soldats, avec ses fidèles chiens-lieutenants et son tracteur-tank. Et la maison était une source intarissable d'idées tant qu'il n'apercevait pas l'horizon par la fenêtre !

J'organise un bal au château. Pourrais-je vous y convier, gente dame ?

Plus tard, alors qu'il était adolescent, son mal-être s'est intensifié. Il perdit en grande partie sa faculté d'évasion fictive et ressentait un appétit grandissant de rencontres – un besoin de plus en plus lié aux pulsions hormonales qu'il ressentait alors qu'il regardait régulièrement la télévision, son nouveau compagnon d'infortune ! Outre son penchant naissant pour la masturbation, sa nouvelle échappatoire consistait en une appréhension futurible de sa propre vie. Il tentait d'élaborer différents scénarios de son avenir, soit pessimistes, soit idéalistes, soit fatalistes.

Petit à petit germait l'idée de s'exiler à Sydney pour ses études supérieures. Véritable obsession, ce projet l'avait progressivement plongé dans ses études par correspondance. Sa motivation était devenue hors norme et la perspective d'une vie urbaine paraissait décupler ses capacités intellectuelles. Il semblait se replier encore plus sur lui-même mais c'était pour une cause noble: s'ouvrir à un monde lointain et inconnu.

 Mummy, Daddy, l'année prochaine je pars étudier l'architecture à Sydney !

Il n'avait jamais su si ses parents avaient été conscients de ce qu'il ressentait. Toujours est-il qu'ils l'ont encouragé à suivre ses rêves. Alors il est parti. A Sydney. A 18 ans. Seul mais enthousiaste. Un imbroglio de rues et un gigantisme urbain l'envahirent dès son arrivée. Nouveaux paradoxes. Il se sentait respirer sous le ciel pollué. Il se sentait vivre dans la foule anonyme. Il se sentait libre au milieu des murs. Il se sentait lui-même !

Mais l'illusion fut de courte durée. Il ne parvenait pas à se lier d'amitié avec les personnes qu'il rencontrait. Confiné dans un mutisme de timidité et un sentiment d'infériorité. La ville s'avérait hermétique tant il était habitué à l'absence de rapports sociaux. Tout lui sembla vite superficiel et inhumain. Le béton lui parut finalement bien froid et il se surprit à se réfugier dans le jardin botanique, à la recherche de quelques éléments naturels familiers. S'était-il fourvoyé à ce point en pensant que son mal-être était induit par le lieu où il avait vécu?

Si je ne suis d'aucun lieu de ce monde, où dois-je aller?

Il se considérait inapte à vivre dans ce monde mais incapable de renoncer à la vie. Persuadé qu'il était devenu un modèle de dilemme permanent. Un martyr des temps modernes. Un néo-romantique dont la douloureuse solitude intrinsèque ne le quitterait jamais. Il abandonnait l'architecture – sa vision du monde était en décalage avec l'urbanisme contemporain qui tendait à briguer l'espace et la lumière – et se lançait dans des études de littérature et d'histoire. Pour fuir à la fois l'espace et le temps.

Il finit par se convaincre qu'il devait s'habituer à son état de mélancolie. Il le cultivait même à outrance. Malsain masochisme qui le poussait à des actes extrêmes: il laissait toujours ses volets baissés et sortait rarement en-dehors des heures de cours. Il ne s'accordait que quelques sorties nocturnes par mois, cherchant vainement à fuir les lumières parasites de la ville pour retrouver la nuit étoilée, sans doute le seul élément qui lui manquait de son passé dans l'outback.

Prends-moi, Lune, et aide-moi à m'échapper...

Il autoalimentait sa solitude et s'éloignait de plus en plus de la réalité. Des heures à tourner en rond dans sa chambre. Toujours senestrorsum. Pour conjurer le temps et remonter dans le passé. S'il n'existait pas d'espace qui lui convenait sur cette planète, peut-être qu'il trouverait un autre temps auquel il appartenait? Même si cette quête ne menait à aucune issue, il lui paraissait indispensable de comprendre son identité profonde.

Un jour il se mit à lire L'invention de la solitude de Paul Auster. Le titre semblait lui convenir. Un passage retint alors son attention. Echo dans sa propre existence. "Une seule chose est certaine: il ne peut être nulle part tant qu'il ne se trouve pas ici. Et s'il n'arrive pas à découvrir cet endroit, il serait absurde de penser à en chercher un autre". Il fallait qu'il reparte. Retour inéluctable à la ferme. Il lui fallait trouver le lien entre lui et cet espace. Sa géographie intérieure devait se réconcilier avec ses racines. Sinon il était condamné à errer éternellement et sa vie serait un enchevêtrement d'oubliettes fantasmées.

 Mummy? Je reviens à la maison...

Il arriva soulagé à la ferme. Curieusement ces espaces lui avaient manqué pendant ses deux années à Sydney. Troublant. Il se lançait alors dans un procès intime de sa propre conscience. Chercher les coupables de ce malaise géographique qui l'avait corrodé pendant vingt ans. Mais l'inexplicable le conduisait à un non-lieu. Le problème était devenu inidentifiable et azonal. Non-lieu ? Tout était résolu ! Les barrières invisibles s'effondraient au fur et à mesure qu'il prenait conscience que les lieux n'étaient pas cause de mal-être.

Il était temps pour lui d’en finir avec ce palimpseste d’illusions successives ! Ce n'est pas un lieu qu'il lui fallait mais une multitude de lieux. Il ne pouvait se contraindre à choisir un seul espace. La ferme était un point d'attache mais pas une geôle. Le vent l'a compris, il ne se contente pas de souffler sur une contrée unique. Lui aussi était un voyageur. Un homme du monde qui se devait de le parcourir.

Non-lieu. Je suis libre...

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