Hier déjà...
[nouvelle écrite pour le concours du CROUS 2005 sur le thème "Fragments de campus, hier, aujourd'hui, demain"]
Je l’ai encore vue hier. Passage furtif devant mes yeux surpris – comme toujours. Toujours le même mystère qui m’envahit à chaque vision de son doux visage. D’où vient-elle ? Toujours surgie de nulle part, jamais au même endroit, mais toujours au sein de cette vieille université. Hier j’ai regardé autour de moi et j’ai eu l’étrange impression qu’elle n’existait que pour moi. Irréelle ? Ou simplement un souffle que personne d’autre que moi n’arrive à capter… Chaque apparition me transporte ailleurs. Le temps n’existe-t-il plus en mon cœur lorsqu’elle est là, fugitive, devant mes faiblesses ?
Qui est-elle ? J’ai essayé une fois de la suivre. Mais au détour d’un couloir, sa chevelure m’a échappée. Jeune déesse de l’inconnu. Belle muse indomptable. Pourquoi ces murs ne te retiennent pas plus longtemps avec moi lorsque tu apparais ? Où fuis-tu sans savoir que je te poursuis ? Je suis rongé par un désir inapaisable. Comment peux-tu me faire souffrir à ce point, toi qui me fascines tant ? Pourquoi ton existence miraculeuse est-elle paradoxalement la source de mon inexorable abandon ? Je ne peux pourtant parvenir à tes lèvres. Une force indéfinie et infinie me paralyse lorsque ton regard se manifeste…
J’y enseigne. Cinéma et arts pour m’évader dans d’autres mondes. Pour dépasser ma pitoyable et naïve espérance. Oublier la réalité de mon échec. Ma vie uniquement dédiée au souvenir obsédant de ton existence. Mon âme est prisonnière d’une illusion sans fin. Ton fantôme qui erre éternellement dans mes labyrinthes intimes.
Noir dans l’amphi. Assis, tous, face au jeu de lumière. Silence étrange, effrayant. Statiques et calmes, suspendus devant l'inexploré. Silence… Silence… Calme… Et frissons paralysants lorsqu’elle réapparaît. Illogique vision. Horrifique beauté perdue. Elle est là. Là sur le blanc sali du vieil écran. Là dans cette image de l’autre temps.
Me voici nu face à l’impossible. Serais-je en train de perdre mon esprit à cet instant précis ? Que fais-tu là ma belle ? Dans un instant qui ne devrait t’appartenir… Folie qui me prend, folie dont je m’éprends… Où puis-je trouver cette porte invisible afin de rejoindre ton utopique existence.
Tu m’as manqué, tu sais ? Et me voilà face à ta troublante image. Irréelle. Toujours plus insaisissable. L’inatteignable amour parcourt de frissons mon impuissance. Alentour, mes étudiants restent dans l’immobile. Inconscients de mon évasion. Sourds face à ses hurlements aphasiques qui me bloquent dans ma perte infinie.
Je guette les murs de l’université, cherchant l’incherchable. Où est cette entrée vers l’univers parallèle dans lequel tu vis ? Où trouver ce passage pour approcher ton mythe ? Effleurer, caresser ma légende, … Comment peux-tu encore ignorer ma torture ? Viens me délivrer de mes chimères. M’arracher à ces lieux que je parcours depuis des éternités. Cette errance insondable dans le seul but de te trouver. T’entrevoir ne me suffit plus !
Tourne le réel et s’immobilise le fabuleux. Là à nouveau. Ma beauté féerique. Noyée dans cet océan d’anonymes. Fantôme parmi les fantômes. Mon mirage se généralise. Je me sacrifie sur l’autel de mon imagination. Otage d’un fantasme insoluble.
Qu’importe le temps. Qu’importe ma vie. Elle est là. Quelque part. Immatérielle. En moi. Les murs n’existent plus dans cet endroit glacé qui me retient. Mes songes gouvernent ma vision du monde désormais.
Des murs blancs ont
remplacé les vieux murs. Etranges étudiants aux nouveaux visages qui se
penchent sur moi. Ils parlent à ma place. Tant mieux. Je vais pouvoir me vouer
à elle. Peu importe où je suis. Seul compte où elle est. Ma muse, viens hanter
les murs de ma nouvelle université… Demain t’y est consacré. Aujourd’hui aussi.
Hier déjà…