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28 et demi (work in progress)
28 et demi (work in progress)
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13 mars 2005

Hier déjà...

[nouvelle écrite pour le concours du CROUS 2005 sur le thème "Fragments de campus, hier, aujourd'hui, demain"]


Je l’ai encore vue hier. Passage furtif devant mes yeux surpris – comme toujours. Toujours le même mystère qui m’envahit à chaque vision de son doux visage. D’où vient-elle ? Toujours surgie de nulle part, jamais au même endroit, mais toujours au sein de cette vieille université. Hier j’ai regardé autour de moi et j’ai eu l’étrange impression qu’elle n’existait que pour moi. Irréelle ? Ou simplement un souffle que personne d’autre que moi n’arrive à capter… Chaque apparition me transporte ailleurs. Le temps n’existe-t-il plus en mon cœur lorsqu’elle est là, fugitive, devant mes faiblesses ?

Qui est-elle ? J’ai essayé une fois de la suivre. Mais au détour d’un couloir, sa chevelure m’a échappée. Jeune déesse de l’inconnu. Belle muse indomptable. Pourquoi ces murs ne te retiennent pas plus longtemps avec moi lorsque tu apparais ? Où fuis-tu sans savoir que je te poursuis ? Je suis rongé par un désir inapaisable. Comment peux-tu me faire souffrir à ce point, toi qui me fascines tant ? Pourquoi ton existence miraculeuse est-elle paradoxalement la source de mon inexorable abandon ? Je ne peux pourtant parvenir à tes lèvres. Une force indéfinie et infinie me paralyse lorsque ton regard se manifeste…

 …Vingt ans ont passé sans que tu ne réapparaisses. Vingt ans ont flétri mon cœur qui n’a pu t’oublier. Toi, mon inconnue, évaporée d’entre les murs alors que je suis resté là à t’attendre. J’ai tout fait pour demeurer là où je t’ai connue. Le seul endroit au monde qui me hante. Cette université aux murs froids, château qui m’enferme un peu plus chaque jour.

J’y enseigne. Cinéma et arts pour m’évader dans d’autres mondes. Pour dépasser ma pitoyable et naïve espérance. Oublier la réalité de mon échec. Ma vie uniquement dédiée au souvenir obsédant de ton existence. Mon âme est prisonnière d’une illusion sans fin. Ton fantôme qui erre éternellement dans mes labyrinthes intimes.

Aujourd’hui film muet. Alors que les mots me semblent impuissants pour décrire l’état de mes pensées, je soumets mes étudiants à l’analyse d’une œuvre évadée du temps. Une rareté des années 20 trouvée par hasard, dans le coin d’une brocante poussiéreuse. Je ne l’ai encore jamais regardé. Volonté d’expérience commune. Réagir face à l’inconnu du passé. Hors de l’espace où l’on vit. Ensemble.

Noir dans l’amphi. Assis, tous, face au jeu de lumière. Silence étrange, effrayant. Statiques et calmes, suspendus devant l'inexploré. Silence… Silence… Calme… Et frissons paralysants lorsqu’elle réapparaît. Illogique vision. Horrifique beauté perdue. Elle est là. Là sur le blanc sali du vieil écran. Là dans cette image de l’autre temps.

Me voici nu face à l’impossible. Serais-je en train de perdre mon esprit à cet instant précis ? Que fais-tu là ma belle ? Dans un instant qui ne devrait t’appartenir… Folie qui me prend, folie dont je m’éprends… Où puis-je trouver cette porte invisible afin de rejoindre ton utopique existence.

Tu m’as manqué, tu sais ? Et me voilà face à ta troublante image. Irréelle. Toujours plus insaisissable. L’inatteignable amour parcourt de frissons mon impuissance. Alentour, mes étudiants restent dans l’immobile. Inconscients de mon évasion. Sourds face à ses hurlements aphasiques qui me bloquent dans ma perte infinie.

Demain est là, avec et sans promesses. La nuit passée à vénérer en boucle l’inscription lumineuse de ton visage. Nuit blanche infinie, désarmée, à fixer une succession d’éternelles illusions. Répétition d’un rêve fantasmagorique qui me guide vers un abandon absolu.

Je guette les murs de l’université, cherchant l’incherchable. Où est cette entrée vers l’univers parallèle dans lequel tu vis ? Où trouver ce passage pour approcher ton mythe ? Effleurer, caresser ma légende, … Comment peux-tu encore ignorer ma torture ? Viens me délivrer de mes chimères. M’arracher à ces lieux que je parcours depuis des éternités. Cette errance insondable dans le seul but de te trouver. T’entrevoir ne me suffit plus !

Ils sont là, apathiques, face aux flots incessants de mes vaines paroles. Je suis là debout, frêle, face aux robots qui griffonnent. Mon regard ne peut que trahir mon sentiment d’inutile. Absence de conviction. Foule de pupilles fatiguées qui me dévisagent. Paranoïa qui m’envahit. Pourquoi suis-je ici ? Et ces figures qui se mettent à tournoyer devant moi.

Tourne le réel et s’immobilise le fabuleux. Là à nouveau. Ma beauté féerique. Noyée dans cet océan d’anonymes. Fantôme parmi les fantômes. Mon mirage se généralise. Je me sacrifie sur l’autel de mon imagination. Otage d’un fantasme insoluble.

Qu’importe le temps. Qu’importe ma vie. Elle est là. Quelque part. Immatérielle. En moi. Les murs n’existent plus dans cet endroit glacé qui me retient. Mes songes gouvernent ma vision du monde désormais.

Des murs blancs ont remplacé les vieux murs. Etranges étudiants aux nouveaux visages qui se penchent sur moi. Ils parlent à ma place. Tant mieux. Je vais pouvoir me vouer à elle. Peu importe où je suis. Seul compte où elle est. Ma muse, viens hanter les murs de ma nouvelle université… Demain t’y est consacré. Aujourd’hui aussi. Hier déjà…

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